RÉVISION DU DROIT SUISSE DES SUCCESSIONS.

Le droit suisse des successions permet désormais au testateur de bénéficier d’une plus grande liberté quant à la disposition de son patrimoine.

Motif de cette révision :

En adoptant cette modification du droit des successions, le législateur avait principalement pour objectif d’augmenter la liberté de disposer du testateur ; en particulier il a souhaité tenir compte de la tendance marquée en Europe à diminuer la part réservataire des descendants, le droit suisse étant à ce jour l’un des plus restrictifs. Concrètement, cet assouplissement donnera au testateur plus de latitude au moment de décider de la répartition de ses biens, notamment en cas de familles recomposées ou encore dans le contexte délicat de la transmission des entreprises familiales à la nouvelle génération. C’est la date du décès (avant ou après le 1er janvier 2023 ?) qui est déterminante pour déterminer le droit applicable aux parts réservataires.

Réserves successorales pour les successions ouvertes avant le 1er janvier 2023

Avant cette révision (droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022), les descendants bénéficient ensemble, quelque soit leur nombre, d’une part réservataire équivalente au trois quarts (¾) de leurs parts légales. Ainsi un testateur, veuf ou divorcé avec deux enfants, est tenu d’attribuer à ses descendants le trois quarts (¾) de son patrimoine, le solde d’un quart (1/4) représentant la „quotité disponible“, qui peut être attribuée à une tierce personne ou à l’un ou l’autre des héritiers réservataires en supplément à sa réserve.

De même un testateur marié doit-il respecter une part réservataire d’un quart (1/4) en faveur de son conjoint (après liquidation du régime matrimonial), une part réservataire de trois huitièmes (3/8èmes) revenant à ses enfants, soit donc au total des parts réservataires représentant cinq huitièmes (5/èmes) de sa succession. Le solde représente une part de trois huitièmes (3/8èmes), que le testateur peut attribuer à une tierce personne ou encore à son conjoint (qui reçoit donc au total une part de cinq huitièmes (5/8èmes)) ou encore à ses enfants (qui reçoivent alors une part de six huitièmes (6/8èmes).

Réserves successorales pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2023

La principale modification concerne la diminution de la part réservataire des descendants, qui représente désormais la moitié et non plus le trois quarts de leur part légale.

Dès lors, le testateur, veuf ou divorcé, peut disposer librement de la moitié de sa succession et non plus seulement du quart.

De même, le testateur marié doit désormais respecter (après liquidation du régime matrimonial) :

  • la réserve d’un quart de son conjoint (inchangé),
  • la réserve d’un quart de ses descendants, à répartir entre ses enfants quelque soit leur nombre,

soit des parts réservataires qui représentent au total la moitié de son patrimoine, l’autre moitié pouvant être attribuée à l’un ou l’autre de ses enfants ou encore à son conjoint (dans ce cas, le conjoint peut recevoir trois quarts (3/4) de la succession).

Est-ce nécessaire de refaire son testament ?

Dans le cas où la volonté exprimée par le testateur est d’attribuer à l’un de ses héritiers „le maximum possible“ ou au contraire „le minimum (la réserve)“, ce sont les parts réservataires en vigueur au jour de l’ouverture de la successsion qui sont applicables, même si le testament a été rédigé avant le 1er janvier 2023. Il n’est pas nécessaire donc de faire un nouveau testament.

Si au contraire le testament fait expressément référence à des fractions (par ex. „trois huitèmes à mes enfants“), alors les parts exprimées seront appliquées en l’état, sans que l’on puisse supposer d’office que le défunt aurait souhaité qu’elle soient adaptées aux nouvelles règles. Cas échéant, le testateur doit refaire un testament s’il souhaite faire usage des nouvelles règles.

Suppression de la part réservataire des père et mère

Aux termes des nouvelles dispositions, les père et mère ne sont plus héritiers réservataires. Ainsi le testateur sans enfants (marié ou non) n’est plus tenu de transmettre une part réservataire à ses parents. Il peut ainsi attribuer la totalité de sa succession à son conjoint, qui bénéficie dans cette hypothèse d’une part réservataire de trois huitièmes (3/8èmes), après liquidation du régime matrimonial.

Quant aux frères et sœurs, rappelons qu’ils ne sont plus réservataires en droit suisse depuis plus de trente ans.

Il faut néanmoins préciser qu’à défaut d’être héritiers réservataires, et en l’absence de tout testament, les père et mère et leurs descendants restent héritiers légaux. Dès lors, une personne mariée sans enfants doit-elle prévoir qu’à défaut de faire un testament, son conjoint ne pourra pas se prévaloir d’un droit à l’entier de la succession : une part successorale d’un quart (1/4) revient dans ce cas aux père et mère du défunt, et en cas de prédécès, à leurs descendants (frères et sœurs, neveux et nièces, etc.). Cet aspect du droit des successions est méconnu en pratique et crée trop souvent des malentendus douloureux pour le conjoint survivant.

Part réservataire du conjoint en cours de séparation

En cas de procédure de divorce difficile, il arrive que le testateur reste lié de nombreuses années à la part réservataire de son conjoint, soupçonné parfois de faire durer la procédure à dessein.

Pour clarifier ce type de situation, la loi prévoit qu’à défaut d’un jugement de divorce entré en force avant le jour du décès, le conjoint n’est désormais plus héritier réservataire lorsqu’au moment du décès une procédure de divorce est pendante sur requête commune ou si les époux ont vécu séparés durant deux ans au moins.

S’agissant des dispositions pour cause de mort prises en faveur du conjoint, et sauf stipulation contraire du testateur, la seule introduction d’une procédure de divorce qui entraîne une perte de la réserve du conjoint survivant rend caduques ces dispositions pour cause de mort (et non pas seulement le jugement de divorce lui-même).

Protection des bénéficiaires d’engagements pris aux termes d’un pacte successoral

La portée juridique des engagements pris par le testateur dans un pacte successoral en faveur des autres parties à l’acte a longtemps été débattue. Par exemple, comment protéger celui qui se voit promettre l’attribution d’un bien immobilier lors du décès, alors que le testateur, après la signature du pacte, l’attribue à une tierce personne par une donation entre vifs ou aux termes d’un testament unilatéral ?

La loi protège dorénavant les bénéficiaires d’engagements qui résultent du pacte ; ils peuvent lors du décès contester en justice les donations et les dispositions pour cause de mort consenties par le testateur après la conclusion du pacte successoral et qui sont inconciliables avec ses engagements (à moins que précisément le pacte ne réserve le droit du testateur d’en disposer librement après la signature du pacte !).

Etienne JEANDIN, notaire à Genève

Parts réservataires dès le 1er janvier 2023 – synthèse

A) Héritiers légaux : enfants et conjoint survivant

Part légale Part réservataire Quotité disponible
Conjoint ½ ¼

 

 

Enfants ½ ¼
½

B) Héritiers légaux : enfants, sans conjoint survivant

Part légale Part réservataire Quotité disponible
Enfants 1/1 ½ ½

C) Héritiers légaux : père et mère, avec conjoint survivant

Part légale Part réservataire Quotité disponible
Conjoint 3/4 3/8
Mère 1/8 néant
Père 1/8 néant
5/8

D) Héritiers légaux : conjoint survivant, sans aucune descendance des père et mère

Part légale Part réservataire Quotité disponible
Conjoint 1/1 1/2 1/2